( Par Valdiodio NDIAYE DIOUF )
Thierno Alassane Sall a écrit son livre avant tout pour ses contemporains afin qu’ils aient conscience de la gravité de la situation et daignent enfin prendre leur destin en main. Mais, il a pris la plume aussi pour permettre à ce que le jugement de l’histoire s’opère à l’endroit de tous les protagonistes de ce système mafieux qui n’ont pas pu être entendus par la justice étatique pour des raisons que nul n’ignore. Dans ce sens, les œuvres du trio Abdoulaye Wade, Cheikh Amar et Ndongo Diao prétextant doter l’ARTP de deux immeubles méritent d’être mises sur la place publique. Au moment des faits, Abdoulaye fut Président de la République, Cheikh Amar prit part à l’affaire en tant qu’opérateur économique (dont les intérêts sont liés à deux entreprises intervenant dans le dossier que sont TRE et AHG) et Ndongo Diao agissant en qualité de DG de l’ARTP. Il importe de préciser d’emblée que le récit relaté dans le livre de TAS sur cette affaire, comme pour toutes les autres affaires d’ailleurs, est suffisamment documenté notamment par des écrits de Notaires (le nom qui revient le plus souvent étant celui de Me Amadou Moustapha Ndiaye).
Nommé DG de l’ARTP en avril 2012, TAS nourrissait déjà de grandes ambitions pour ce secteur et c’est ce qui détermina d’ailleurs son choix pour l’ARTP parmi les agences et sociétés nationales qui lui ont été proposées par le Président Macky Sall nouvellement élu. Il le confesse dans le livre : « Je choisis avec l’assentiment du Président une agence dont le rôle dans la transformation de l’économie du Sénégal pouvait être cruciale sans être au centre d’énormes enjeux financiers, l’ARTP » (p. 127). Sitôt après sa prise de fonction, TAS dut faire face à une bande de prédateurs dans plusieurs affaires (réduisant l’ARTP en une vache à lait au détriment d’une politique sérieuse relative au domaine du Numérique) dont « l’affaire des immeubles de l’ARTP » qui est l’objet du chapitre VIII du livre.
C’est l’ancien DG de l’ARTP (Ndongo Diao) qui mit la puce à l’oreille de TAS lors de la cérémonie de passation de services en déclarant : « je vous laisse un patrimoine considérable : […] vous allez bientôt réceptionner deux nouvelles acquisitions » (p. 161). En fait, le prédécesseur de TAS faisait allusion aux deux immeubles commandés par l’ARTP en mai 2011 auprès de TRE et AHG (deux sociétés appartenant à Cheikh Amar) dans des conditions des plus scandaleuses. Afin de mieux comprendre ce montage complexe de la « galaxie wadienne », comme l’appelle TAS, il convient de la scinder en deux parties : chaque immeuble ayant fait l’objet d’une opération ponctuée d’illégalités et de nébulosité.
Première opération : le second membre du titre du chapitre VIII traitant de l’affaire résume parfaitement le montage scandaleux : « un courtier nommé Wade ». En effet, le Président Wade avait littéralement joué le rôle de courtier au service de l’homme d’affaires Cheikh Amar. Étant choisi par Wade comme le promoteur du projet, Cheikh Amar devait vendre à l’ARTP une parcelle de terrain de 2000 m2 pour ériger son immeuble. Un fait quelque peu curieux, cette parcelle de terrain figurait dans un lot de 18 ha que l’État du Sénégal, toujours sous le régime de Wade, avait cédé à Cheikh Amar. Ainsi, alors que le mètre carré dans la zone était estimé à 4 200 FCFA au moment de la cession, Cheikh Amar revendit la parcelle de terrain à l’ARTP (qui est un organe de l’État du Sénégal) à raison de 300 000 FCFA le mètre carré. En vérité, ces deux opérations (État Cheikh Amar & Cheikh Amar ARTP) ne sont que les deux phases d’un plan de dépouillement orchestré par Wade aux fins de spéculations et d’enrichissement personnel. Cette phrase de TAS décrit parfaitement ce plan : « après avoir si généreusement doté le promoteur Papa Cheikh Amadou Amar, Wade se transforma en son courtier, sommant les structures de l’État d’acquérir à prix d’or les terrains cédés par l’État » (p. 167). Le pire dans l’histoire est que Wade a pris un décret pour passer outre les dispositions du Code de la construction relatives au mode de paiement du prix de vente en matière d’immeuble à construire et l’article 2 dudit décret dispose : « le Directeur général de l’ARTP est autorisé à prélever directement le montant alloué et à assurer les versements au promoteur Touba Real Estate (TRE) selon l’échéancier convenu d’accord partie » (p. 168). Le deal béni par Wade ne devait ainsi être connu que par Ndongo Diao et Cheikh Amar. La facture fut intégralement réglée par l’ARTP alors même que la société TRE n’avait pas encore posé les fondations de l’immeuble commandé Coût total de cette première opération pour l’ARTP : parcelle de terrain (2000 m2)+ construction = 3 500 000 000 FCFA.
Seconde opération : le promoteur choisi pour le second immeuble est toujours Cheikh Amar, cette fois à travers la société AHG (Amar Holding Group). Cette opération fut plus juteuse car portant sur une parcelle d’une superficie de 3000 m2 contre 2000 m2 pour le premier immeuble. Et pour montrer que la « galaxie wadienne » n’avait que faire de la loi, Cheikh Amar et Ndongo Diao signèrent devant un Notaire une transaction portant sur un immeuble R+4 alors que le premier nommé (Cheikh Amar) « ne disposait que d’une autorisation de construire d’un immeuble R+1 » (p. 171). Le Notaire Me Amadou Moustapha Ndiaye dut faire signer un document à Ndongo Diao pour se protéger d’éventuelles poursuites au regard des illégalités grotesques dans la transaction qu’il avait vainement essayé de faire remarquer le représentant de l’ARTP. NB : TAS a également cité dans cette affaire un autre maillon important de la dynastie wadienne, l’architecte Pierre Atépa Goudiaby qui se vit sous-traiter par Cheikh Amar (comme une famille qui se partage un festin, ici la « galaxie wadienne ») les études architecturales « pour l’un des immeubles au moins » (p. 166) Coût total de cette seconde opération : parcelle de terrain (3000 m2 ) + construction = 4 700 000 000 FCFA.
Les deux immeubles devaient être livrés dans un délai de six mois à compter de la date de signature du contrat entre l’ARTP et le promoteur, donc TRE et AHG. TAS constata à son arrivée cependant qu’aucun contrat n’a été régulièrement signé. En d’autres termes, l’ARTP avait réglé les factures des deux immeubles sans avoir même signé de contrat. Les décrets illégaux de Wade étaient les seuls actes juridiques existants concernant les deux transactions. Aussi, TAS remarqua qu’aucun des deux immeubles n’a été livré alors qu’un délai d’un an s’était déjà écoulé depuis le règlement des factures. Il adressa alors un courrier à Cheikh Amar le 29 mai 2012 « lui enjoignant de restituer les sommes injustement perçues » (p. 178) et tint une conférence de presse le lendemain pour infirmer les Sénégalaises et les Sénégalais de l’affaire.
En lisant la suite de cette histoire, l’on est saisi de colère en apprenant tout le monde qui s’est érigé en bouclier pour défendre Cheikh Amar. TAS note que Macky Sall ne l’avait pas soutenu dans cette affaire (p. 180). On en déduit qu’il n’était tout simplement pas favorable à l’éviction de Cheikh Amar. Néanmoins, TAS mit en exergue sa pugnacité, en soldat solitaire ayant l’honneur en bandoulière, afin que les auteurs du crime soient punis. Il indique le ressort qui l’aida à résister à la pression négative : « en choisissant d’entrer en Politique (on notera le P capital utilisé par l’auteur), je m’étais fait le serment de ne jamais sacrifier les intérêts du Pays pour des considérations partisanes ou personnelles » (p. 180).
Deux semaines plus tard, TAS sera nommé Ministre des infrastructures et des transports, alors qu’il n’avait pu obtenir que l’emprisonnement de Ndongo Diao au moment de quitter l’ARTP (dessaisissement inassumé du dossier Cheikh Amar ?). Il apprendra au cours de l’année 2013 que l’affaire a été classée sans suite. La justice expiatrice sous fond de corruption était passée par-là. Pourtant (TAS cite un journal) Abdou Karim Sall qui a été nommé DG de l’ARTP en mai 2014 a hérité du dossier et dû se résoudre à faire appel à une autre entreprise (CDE) pour achever les travaux en 2018. À tout le moins, l’ARTP aura continué à payer un loyer pendant sept ans, alors qu’elle avait commandé (depuis fin mai 2011) des immeubles qui devaient être livrés dans un délai de six mois.
Au total, la « galaxie wadienne » aura impunément grugé la somme de 8,2 milliards FCFA à l’État du Sénégal. Mieux, le principal concerné, Cheikh Amar, est en odeur de sainteté avec le Président Macky Sall. La justice et le parlement étant paralysés, il appartient aux Sénégalaises et aux Sénégalais de mettre un terme à cette mafia.
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