ENTRE PERTE DE SOUVERAINETÉ ET ALIÉNATION DU PATRIMOINE

Cheikh FAYE offre des lignes de son livre intitulé TUTELLE POSTCOLONIALE, Le Sénégal, 13e territoire d’Outre-Mer de la France et révèle à travers cet ouvrage la forte implication française dans l’économie du pays. Ce qui, de surcroît, plonge le lecteur dans un champ de remises en question sur l’indépendance, la souveraineté économique du pays.

SUNUPOST partage ci dessous, un extrait titré : Entre perte de souveraineté et aliénation du patrimoine

Porté à la tête de l’État sénégalais le 28 mars 2012, le Président Macky Sall s’est précité à Paris, moins de trois semaines après son investiture, pour y rencontrer son homologue français, candidat à sa propre succession et qui était en pleine campagne du second tour de la présidentielle. Deux résultats étaient sortis de cette rencontre inédite : d’une part, l’octroi, par la France, d’un prêt de 130 millions d’euros (86 milliards de francs CFA) au titre d’appui budgétaire avec libération d’une première tranche de 50 millions d’euros (près de 33 milliards de francs CFA) prévue à la fin du mois de juin et, d’autre part, la signature d’un Traité instituant un partenariat en matière de coopération militaire entre la République française et la République du Sénégal. À son retour au pays, le Président Macky Sall s’est gardé de révéler la teneur de ce Traité. Il a fallu attendre janvier 2014, soit près de deux années après sa signature, pour que ce Traité soit soumis à l’Assemblée nationale sénégalaise afin d’autoriser le Président de la République à le ratifier. Ce que les parlementaires ont fait, sans se poser de questions et à l’unanimité !

Le Traité instituant un partenariat en matière de coopération militaire entre la République française et la République du Sénégal signé à Paris le 18 avril 2012 était voulu et décidé par la France. Il s’inscrivait dans la réforme de la présence militaire française à travers le monde que le Président Nicolas Sarkozy a entreprise. Il concrétisait la volonté de la France de faire passer la pointe de Dakar, de base opérationnelle avancée (avec plus de 1 200 militaires des trois armes) à un pôle opérationnel de coopération à vocation régionale qui n’aura besoin que de la présence permanente de 300 militaires. Concrètement, cela signifie que Dakar devient un point d’appui, qui vise à faciliter les interventions militaires françaises dans la région ouest-africaine notamment à servir de base aux différents soutiens qu’elle offre aux forces africaines de paix de la région. Au regard de cet objectif, le Traité signé rompt avec les précédents accords militaires franco-sénégalais en excluant toute possibilité d’intervention directe des militaires français dans les affaires intérieures sénégalaises. Pour autant, la plume qui a servi à sa rédaction est trempée dans l’encre de la domination coloniale. Ce qui en fait un Traité léonin, qui lèse très gravement les intérêts sénégalais, que le Président Macky Sall a signé et que les parlementaires sénégalais ont approuvé comme lettre à la poste.

Aucune des dispositions dans le corps du Traité ne pose de problèmes spécifiques. Les problèmes, d’une ampleur insoupçonnée, sont enfouis dans les Annexes (au nombre de 3), lesquelles font partie intégrante du Traité. En effet, l’Annexe no1 du Traité relative aux facilités accordées aux forces françaises stationnées ou en en transit du pôle opérationnel de coopération à vocation régionale, ressemble davantage à un cahier des charges auquel est tenu le Sénégal qu’à un Traité. C’est une liste d’obligations auxquelles le Sénégal doit se soumettre, seul, sans aucune contrepartie de la France lorsque l’alinéa 2 de l’article 1 de l’Annexe no1 stipule que « les dispositions de la présente annexe ne s’appliquent que sur le territoire de la République du Sénégal »

Les dispositions de l’alinéa 1 de l’article 7 de l’Annexe no1 intitulé « Installations et logements mis à disposition des forces françaises stationnées ou en transit » stipulent que « la Partie sénégalaise met gracieusement à la disposition des forces françaises stationnées ou en transit les installations suivantes, à titre exclusif : 

  • le camp de Ouakam ; 
  • la station d’émission interarmées de Rufisque ; 
  • le parc de Hann ».

Cela est tout simplement scandaleux, car consacrant une renonciation, de fait, d’une partie du territoire national au profit de la France. C’est une grave atteinte à l’intégrité territoriale du pays lorsque le Sénégal accepte de concéder à la France, à titre exclusif, c’est-à-dire à la seule et unique jouissance de la France, certaines parties de son territoire national. 

En plus de l’atteinte à l’intégrité territoriale, les dispositions de l’alinéa 3 du même article consacrent l’aliénation d’une partie du patrimoine sénégalais au profit exclusif de la France lorsqu’elles sont libellées en ces termes : « la Partie sénégalaise met gracieusement à la disposition de la Partie française les logements suivants, à titre exclusif : 

  • les villas d’autorités de la Pointe de la Rade ; 
  • les logements de la cité Saint-Exupéry ; 
  • les logements de l’unité marine ; 
  • les logements du camp de Ouakam ; 
  • les logements du parc de Hann ; 
  • les logements de la station d’émission interarmées de Rufisque. » 

Comme si les autorités sénégalaises n’étaient pas contentes de leur travail de déconstruction nationale et voulaient donner plus de gages de fidélité à la France, elles y ont ajouté, à l’article 7, un alinéa 2 qui stipule que « la Partie sénégalaise met gracieusement à la disposition des forces françaises stationnées ou en transit les emprises suivantes, à titre non exclusif : 

  • aéroport L.— S. Senghor, partie militaire ; 
  • celles des emprises de la base navale des forces armées sénégalaises occupées par les forces françaises (unité marine, direction des travaux, direction interarmées du service de santé des armées, centre médical interarmées et Poste Protection Sécurité Défense) ».

Qui peut faire mieux, en termes de soumission à la France ? En tout cas, aucun responsable politique conscient de ses responsabilités doté d’un minimum de patriotisme n’aurait accepté cela. Aucune explication, aucune justification ne serait recevable pour asseoir la décision de renoncer à l’exercice de la souveraineté du Sénégal sur une partie du pays. Même s’il s’agit de quelques hectares. Avoir signé ce Trait relèverait, tout simplement, de la forfaiture. D’une haute trahison.

Cerise sur le gâteau, dans l’annexe no1 du Traité, l’article 3 relatif à l’importation et au déplacement des matériels et approvisionnements prévoit que « la Partie sénégalaise autorise l’entrée du matériel et des approvisionnements nécessaires aux activités et au fonctionnement courant des forces françaises stationnées ou en transit, en franchise de droits et taxes d’entrée ainsi que des prélèvements communautaires, à l’exception de ceux figurant dans l’annexe II au présent traité ». Autrement dit, le Sénégal renonce à la perception de toute taxe sur tout ce qu’importeront les forces militaires françaises en dehors des exceptions suivantes : des carburants ; des denrées alimentaires à l’exclusion des rations de combat individuelles ; des peintures et produits de peinture (vernis, diluant) à l’exception des peintures et produits à usage strictement militaire (notamment les peintures de coque de bâtiments de guerre, d’avions militaires ou de véhicules blindés) ; des machines-outils, outillages à main et petites fournitures consommables pour les ateliers ; des matériels d’ameublement destinés aux membres du personnel, à l’exclusion du mobilier de casernement destiné à un usage militaire ; de l’électroménager destiné aux membres du personnel à l’exclusion des gros matériels destinés aux installations militaires ;  du matériel de sport, y compris les embarcations et voiliers de plaisance ; des ordinateurs à l’exclusion des ordinateurs durcis à usage strictement militaire ; des produits pharmaceutiques. 

Toutefois, si ces matériels, équipements et approvisionnements achetés dans le commerce local ou fabriqués dans l’industrie locale et réservés aux mêmes usages, ils sont alors « exonérés de taxes ». Non seulement, la France dispose des ilots de souveraineté dans le pays et ne paie pas de location pour le patrimoine immobilier sénégalais mis à sa disposition, elle est exonérée du paiement de plusieurs taxes fiscales et douanières dont le Sénégal a grandement besoin pour assurer son développement. Il aurait été mieux qu’elle commença par s’acquitter de ce qu’elle doit au Sénégal avant de lui verser une obole sous le nom pompeux d’aide publique au développement. 

Les relations militaires franco-sénégalaises ont aussi un versant économique, moins connu, moins exposé. En effet, d’après le rapport annuel que le ministère des Armées fait annuellement au Parlement sur les exportations d’armement de la France, de 2010 à 2018, le Sénégal a passé commande auprès de la France des matériels militaires d’une valeur totale de 146,2 millions d’euros, soit 96 milliards de francs. Cela représente près de 11% des commandes effectuées durant la même période par les pays africains au sud du Sahara.

De lucratifs contrats d’armement militaire sont conclus au profit d’entreprises françaises. C’est ainsi qu’en marge de la quatrième édition du séminaire intergouvernemental franco-sénégalais tenu à Dakar le 17 novembre 2017, plusieurs accords ont été signés entre les deux pays notamment celui relatif à l’acquisition, par le Sénégal, de trois nouveaux patrouilleurs auprès du groupe français Kership ainsi que des missiles auprès du groupe européen MBDA basé en France. Les trois patrouilleurs hauturiers OPV 58 coûteraient plusieurs centaines de millions d’euros. Le groupe Arquus, anciennement Renault Trucks Defense, a remporté, en 2017, la fourniture, à l’armée sénégalaise, de 13 blindés PVP et 9 Bastion selon l’édition 2020 du « Calepin des entreprises internationales de défense » qui rassemble les principales données de certaines entreprises internationales de l’industrie de Défense.

En retour que reçoit le Sénégal ? Des broutilles comparées aux centaines de milliards de francs CFA engrangées par la France dans cette relation trop déséquilibrée. Un rapide examen de la déclaration conjointe publiée au terme du 4e séminaire intergouvernemental franco-sénégalais donne une idée plus précise des gains du Sénégal. Ils consistent notamment à la mise à disposition de 26 coopérants militaires, la formation des officiers sénégalais au sein de l’école d’application de l’infanterie à Thiès, l’appui aux cours d’application des officiers de la gendarmerie à Ouakam, l’admission (sur concours) de stagiaires au sein des grandes écoles militaires françaises et une place pour un officier supérieur sénégalais à la Session 2020-2021 de l’École de Guerre. Il ne faut pas surtout omettre, au titre des acquis (il faut en rire ou en pleurer ?), la restitution du sabre attribué à El Hadj Omar Tall, rapporté en France par le général Louis Archinard après la campagne militaire de Bandiagara, en avril 1893. Cette restitution a été faite, en marge du 4e séminaire intergouvernemental franco-sénégalais, par le Premier ministre français Édouard Philippe au Président Macky Sall au cours d’une cérémonie solennelle. Une façon de jouer sur l’affective des Sénégalais et de faciliter l’ouverture du portefeuille national. Ce qui fut une opération réussie pour la France !

** Tutelle postcoloniale. Le Sénégal, 13e territoire d’Outre-Mer de la France. Édition Harmattan, Paris (décembre 2020)

Author: La Rédaction

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