Leaders En Temps De Pandémie (Série 3/6)

MACKY SALL, LE BATEAU DE RIZ, LA PENURIE DE MASQUES

(OU LE COMMANDANT EN CHEF DU MACKY)

Le Président Macky Sall, réélu dans des conditions controversées, passa une bonne partie de l’année 2019 à éteindre l’incendie provoqué par les révélations de la Chaîne BBC sur l’affaire Petro-Tim. Il eut beau convoquer un dialogue national et multiplier les appels à l’Union sacrée, son régime semblait englué dans un puits de pétrole d’où il aurait du mal à s’extirper. Jusqu’à ce qu’un Mal venu de Chine lui permît de rassembler autour de lui des opposants qui le vouaient il n’y a guère au pilori comme des rappeurs qui usaient du vitriol pour le dépeindre. Voici venu le temps de l’Union sacrée ! Cela ne suffisant pas pour le rassurer sur ses capacités à faire face à la crise, en dépit des pouvoirs exorbitants qui étaient déjà les siens, Macky Sall requit et obtint les pouvoirs de l’Assemblée. Près de deux mois après, qu’a-t-il fait de ces pouvoirs et soutiens exceptionnels ? Résultats d’analyse par le laboratoire de Sunupost, dans la suite des leaderships en temps de crise.

Alors que la pandémie, tel un cataclysme planétaire, ravageait des pays vers qui le Sénégal attend habituellement de l’aide en temps de catastrophe, le Président Macky Sall se préparait au pire, à sa manière et selon son génie. En ces moments graves, qui requièrent la mobilisation des forces vives de la Nation, Macky Sall eut un réflexe révélateur, qui en dit long sur sa conception du leadership. Plutôt de consulter les experts dans tous les domaines (épidémiologistes, mais aussi économistes, sociologues, chercheurs …) et les forces vives de la Nation, le Président conçut son plan de bataille dans la plus grande opacité. Il fit une adresse aux Sénégalais, puis seulement après, reçu des opposants et des acteurs culturels, ce qui en soit est significatif de ce qu’il n’avait que faire de leurs idées ou propositions.

Ces opposants et acteurs n’avaient été avares en critiques, souvent radicales, contre Macky Sall. Ils se prêtèrent cependant de bonnes grâces à son jeu, topèrent des coudes (les mains n’étant plus de saison à cause de ce maudit virus), échangèrent force de sourires de circonstance et donnèrent leur onction au Président. Même Khalifa Sall effaça, pour dix malheureuses minutes d’entrevue, l’inimité de plusieurs années d’embastillement ciblé. Mais déjà, la cuirasse du Président-aux-pouvoirs-exceptionnels était fendillée par le refus de Serigne Modou Kara Mbacké de se plier au protocole et sa détermination à imposer, dans le Palais de la République, ses règles. Ce n’est pas Macky Sall, que l’on a vu sur des images antérieures donnait du « Général » à Serigne Modou Kara, qui fera respecter les règles édictées pour sa sécurité dans le saint des saints de la République. Il abdiquera devant le Marabout politicien. 1 pour Kara, 0 pour la République.

Le Sénégal fut mis sous état d’urgence avec la bénédiction de ses politiques. Un couvre-feu nocturne fut instauré (dont le rapport avec la circulation du virus reste des plus questionnables), les mosquées fermées (enfin pas toutes et pas tout de suite), la circulation entre les régions interdites sauf pour des motifs valables (mais au Sénégal l’argent ouvre toutes les portes alors, les frontières qui n’existent même pas sur le sable…). Les citoyens ordinaires se soumirent aux règles du mieux que leur permirent la quête quotidienne de la pitance et les autres affres d’une existence dure. Des puissants les violèrent allègrement, Macky Sall, le Président qui concentre formellement autant de pouvoir qu’un sergent-chef africain qui vient de réussir un coup d’Etat et de mettre la Constitution par parenthèse, regarda ailleurs. Encore 0 pour l’autorité de la République !

Deux mois se sont écoulés depuis l’irruption du Virus au Sénégal. Le bilan est mitigé côté sanitaire, catastrophique côté gouvernance. Sa croisade pour l’annulation de la dette ne rencontre guère plus d’écho, portée par la voix la moins autorisée en cela. Le Flambeur Sénégalais peut-il être la voix des pays plus pauvres de l’Afrique de l’Ouest ou plus éprouvés par les calamités de l’Afrique australe qui affrontent le sort avec stoïcisme ?

Les citoyens ont vu leur quotidien bouleversé par la thérapie de cheval (symbole de l’APR). Leurs libertés fondamentales sont restreintes, y compris les libertés de culte même si là également, signe d’impuissance incurable, des violations flagrantes, à l’heure du couvre-feu de surcroît, sont ignorées par les mêmes qui ont la main lourde contre le citoyen qui ne respecte pas ledit couvre-feu. Les relations familiales sont durement affectées (on ne peut plus participer aux funérailles de proches). Beaucoup ont perdu leurs occupations professionnelles ou leurs sources de revenus et vivent dans une impécuniosité d’autant plus douloureuse qu’ils n’en perçoivent pas l’issue. Pour leur plus grande stupéfaction, les Sénégalais ont découvert que, même dans cette ambiance de fin du Monde, les marchés litigieux, qui se nourrissent de la misère des masses pauvres, fleurissent.

Et tous ces sacrifices imposés, tout cet argent déboursé, tout cela, pour que le Covid19 gagne du terrain au lieu de reculer, que la progression paraisse plus forte en ce début du mois de mai au lieu de faiblir ! L’ironie tragique du sort est que, comme un feu mal éteint, la progression de l’épidémie s’est accentuée et le bilan humain aggravé tout juste après les déclarations triomphalistes du Commandant-en-Chef des sapeurs-pompiers sur RFI et France24 pour célébrer ses performances dans la lutte contre le Covid19.

Il ne peut en être autrement car depuis le début, le Commandant-en-chef a manqué d’une stratégie claire et éprouvée mais procède par tâtonnements et à l’aveuglette. Sunupost a très tôt réclamé un plan clair et cohérent (Edito du 10 avril 2020 : COVID19 : Il Nous Faut Un Vrai Plan De Gestion De L’épidémie).  Plutôt que d’évaluer les besoins du Pays en matière de spécialistes dans ces maladies infectieuses, de tests, d’équipements sanitaires ou de protection personnelle, et de les satisfaire en urgence, le Président s’est employé à commander quantité de vivres pour alimenter la pompe électoraliste. On atteint le comble de l’hérésie voire du sabotage lorsque, les personnels soignants n’arrivent pas à avoir un masque par individu et par jour[1] et que des bateaux de riz accostent à Dakar. Macky Sall entend-il guérir le Covid19 avec du riz, de l’huile, du gel hydroalcoolique ? Où sont les aspirateurs, les équipements de protection individuelle, les unités de soins d’urgence ? Alors que depuis le 23 mars 2020, l’OMS a recommandé aux Etats de bâtir leurs stratégies de riposte sur le triptyque « tester, traiter, isoler » et insisté lourdement sur l’utilisation intelligente et à une échelle adaptée des tests (« Testez ! Testez ! Testez !), Macky Sall traduit en : « Du Riz ! Du riz !  Du riz ! ».

Comme Sunupost l’illustre à travers cette galerie des portraits, les circonstances exceptionnelles donnent une épaisseur historique aux hommes d’Etat, les élèvent au-dessus du rang des mortels pour en faire des mythes, ou les fait passer dans les oubliettes de l’Histoire pour leur incurie, surtout si elle copine avec les scandales financiers. Un grand leader est celui qui sait utiliser au mieux ses troupes, au lieu de se substituer à elles, qui sait inspirer les masses plutôt que de les mettre à l’éteignoir.

Le peuple besogneux et ingénieux du Sénégal n’attend pas généralement, durant les heures graves, qu’on batte le tambour du rassemblement. Des médecins, y compris de la Diaspora se sont saisis du débat et offert des pistes de réflexions, des spécialistes ont redoublé de propositions ; des bonnes volontés ont organisé par le biais de la télévision ou des réseaux des cours à l’intention des élèves en vacances forcées ; d’autres ont distribué des produits d’hygiène dans leurs quartiers ; des chercheurs de l’Ecole polytechnique ont conçu des prototypes d’aspirateurs ; des tailleurs ont confectionné des masques pour le grand public. Le Président, qui ne vit que pour le Macky, a par son dédain, participé à faire retomber ce potentiel créatif qui se levait au lieu de le stimuler, de l’organiser, de le soutenir. Des chauffeurs qui mettent à disposition gracieusement leurs matériels n’arrangent pas les petits calculs des gestionnaires de l’aide d’urgence. Charité bien ordonnée…

De ses fréquentations avec Mohammed VI ou Recep Tayyip Erdogan, Macky Sall a acquis le goût des palais de ces pays où il peut aller « se retirer pour réfléchir » mais non l’esprit d’entreprise, la culture du Premier Entrepreneur de la Nation. Quel pays au Monde peut trouver en ces temps de pandémie l’excuse d’importer du gel hydroalcoolique ou des masques pour l’usage commun ? Où sont les PME du Sénégal, les milliers de femmes formées par les services de l’Etat (comme l’ADPME) à la fabrique de savon ? Que sont devenus les financements pour l’Entreprenariat rapide ? La fermeture des frontières à travers la planète est une opportunité pour relancer la fabrique locale. Mais l’éternel Directeur de campagne, Macky Sall, qui se projette toujours vers la prochaine élection, est un importateur compulsif de casquettes, de t-shirts, de véhicules. Pas un bâtisseur d’Etat.

Le naturel chez Macky Sall est le gâchis, un immense et irréparable gâchis puisqu’il s’agit du destin d’un Peuple. Son premier mandat en atteste qu’il entreprit sous les meilleurs auspices : endettement faible, situation économique relativement favorable et surtout disposition positive de la population. La chronique de ce premier mandat rime désormais avec Petro-Tim, Rapport escamoté de l’IGE, plaintes étouffées par les cabinets de juges, révélation de la BBC… Ceux qui espéraient une rédemption à l’occasion du Covid19 devraient se souvenir qu’à chasser le naturel, il revient immanquablement au triple galop. Le naturel de ce régime a trouvé dans le Covid19 un associé pour faire Cause Commune.

Celui qui fait de la Politique à l’occasion des levées de corps et des funérailles (on se souvient de son message à l’occasion de ses présentations de condoléances à Amadou Bâ, alors ministre des Finances) peut bien jouer gagnant à la loterie ou au Ludo à l’occasion de l’épidémie. Le plus surprenant est qu’il se trouve quelques esprits « brillants » et respectables pour saluer la gestion de l’épidémie par Macky Sall. On aimerait aussi, car ce seraient des vies sénégalaises préservées et abrégée la souffrance de ceux qui ont tout perdu et qui ruminement les repas des mois de mars, quand la conjoncture n’était pas aussi douloureuse.

L’Histoire, c’est en partie les faits et gestes du présent vus par les générations futures. Dans quelques décennies, quand les peuples du Monde consulteront les annales des années Covid, ils y trouveront des raisons d’essuyer quelques larmes et des motifs d’une fierté légitime d’avoir puisé dans leur génie propre les ressources pour triompher. Macky Sall devrait se ressaisir, afin de ne pas léguer à la postérité que l’image de cet homme masqué longeant d’un pas lourd un bateau de riz importé. Le seul chef d’Etat au monde à se déplacer, non pour encourager le personnel soignant ni pour réceptionner du matériel nec plus ultra ou visiter des usines de fabrication mais pour du riz importé ! Un Président de la République ! Même pas capable de produire du riz quand Dieu a doté le Sénégal de l’eau et de la Terre, et qu’on a dissipé des ressources financières considérables pour l’auto-suffisance, alors que, par exemple, le Maroc ambitionne d’exporter masques et respirateurs. Que penser de la photo d’un Président jouant au Ludo, qui en dit long sur les soucis pesants qui le taraudent face à son Peuple pris entre le marteau du Covid et l’enclume du marasme économique ? Les milliers de jeunes inquiets pour leur année scolaire, les familles des Sénégalais décédés à l’étranger dont les dépouilles attendent dans les morgues sont rassurés de voir que le Président suit de très au sérieux leur situation.

La photo choc reste cependant celle du Président avançant (toujours masqué) derrière la Première Dame, révélatrice plus que mille discours de la faillite de notre République. En effet, passe encore qu’en se faisant photographier, le Président, son service de protocole et sa cellule de communication se laissent dépasser par la Première Dame : c’est paraît-il le quotidien, et Mbagnick Ndiaye nous avait prévenus à qui il faut dire merci pour le portefeuille ministériel, le riz, l’huile et la popote des soldats. Mais que cette photographie puisse faire le tour du Sénégal dans l’indifférence générale, est un test positif que notre République est gravement atteinte : elle est devenue une monarchie où règne une famille dans l’indifférence des citoyens. Le concept « Faye-Sall » ayant été breveté par un homme désormais très introduit en cours, Sunupost lance un concours pour un nouveau concept.

[1] Voir la sortie de M Cheikh Seck, le coordonnateur des syndicats de la santé pour la justice sociale, dans la livraison de Sud Quotidien du 24 avril 2020,

Author: La Rédaction

239 thoughts on “Leaders En Temps De Pandémie (Série 3/6)

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