En annexe de son rapport de 2017 sur l’état de la Gouvernance et de la Reddition des Comptes, l’Inspection générale d’État (IGE) apporte, sous l’intitulé MEMENTO (pages 233 à 247), des éclairages sur le concept de secret dans l’Administration. L’IGE a cru devoir faire cet exercice pour lutter contre « la divulgation ostentatoire de documents classés confidentiels ou secrets sans en appréhender les conséquences possibles ». Son objectif déclaré est de faire connaître davantage ce concept et d’en favoriser une meilleure application. Toutefois, le véritable objectif et la seule motivation du MEMENTO seraient de « garantir une meilleure protection du secret ». Il est aisé, alors, de comprendre qu’un tel choix n’est pas fortuit. Il découle d’une volonté délibérée de Macky Sall d’empêcher le peuple, au nom duquel il exerce le pouvoir, de disposer des informations pertinentes lui permettant d’apprécier, de façon juste et éclairée, comment les affaires de la cité sont gérées.
Un choix thématique révélateur d’une volonté de bâillonner l’Administration.
Dans l’exercice d’explication de texte qu’elle s’est livrée, l’IGE rappelle les fondements juridiques du secret dans l’Administration, donne une définition du concept en précisant sa portée, traite des catégories et niveaux de protection du secret, expose les moyens prévus pour assurer le secret et termine par le rappel des sanctions prévues en cas de transgression des règles prévues. La rédaction du MEMENTO est faite de manière à faire croire, à celles et ceux qui en sont les destinataires, que le secret est un concept uniforme devant s’appliquer, de façon invariable, à toutes les situations, pourvu qu’elles relèvent du fonctionnement de l’Administration seulement. Ce qui est évidement faux et ressemblerait à une manœuvre douteuse visant, de façon délibérée, à amener les personnes détentrices d’informations relatives au fonctionnement de l’État à les cacher systématiquement, en particulier celles susceptibles de mettre en lumière les prévarications de nos responsables.
Pour développer son argumentaire, l’IGE s’est principalement fondée sur le décret n° 2003-512 du 2 juillet 2003 relatif à l’organisation de la protection des secrets et des informations concernant la défense. Comme précisé dans le rapport de présentation et repris par l’article premier dudit décret, celui-ci a pour objet de définir les conditions dans lesquelles est assurée la protection des renseignements, objets, documents ou procédés intéressant la Défense nationale et la sûreté de l’État, dont la divulgation à des personnes non qualifiées est de nature à nuire à la Défense nationale et à la sûreté de l’État ou pourrait conduire à la découverte d’un secret intéressant la Défense nationale et la sûreté de l’État. Ce dont il est question ici, dans l’esprit et la lettre du décret n° 2003-512 du 2 juillet 2003, c’est l’obligation impérieuse de garder secret tout document (écrit, graphique, sonore, visuelle, informatisée, etc.), procédés et renseignements dont la divulgation serait de nature à compromettre la défense nationale et la sûreté de l’État. Cette nécessité, transformée en obligation, emporte l’adhésion de toutes les sénégalaises et de tous les sénégalais. Son unanimité ne fait aucun doute, car étant l’un des fondements du patriotisme en plus de rendre l’État fort, donc apte à nous protéger. Toutefois, il serait abusif de l’étendre à d’autres aspects qui n’ont rien à avoir avec la défense nationale et la sûreté de l’État. Par exemple, les conditions dans lesquelles l’exploitation de nos ressources naturelles (pétrole, gaz, mines, etc.) ou celle de certaines infrastructures (autoroutes à péage, terminaux roulier et vraquier du Port, etc.) a été concédée au secteur privé étranger échappe à l’obligation absolue du secret. Le peuple doit être informé des conditions dans lesquelles ces contrats ont été conclus au nom de la transparence et en vertu des dispositions constitutionnelles accordant des droits fondamentaux au peuple notamment celui à l’information (Art. 8) et celui de contribuer à la lutte contre la corruption et la concussion (Article 25-3).
Cette attitude de vouloir ériger le secret en règle absolue de gouvernance n’est pas nouvelle même si Macky Sall ignore qu’elle relève d’une autre époque. En effet, chez Machiavel le secret est théorisé comme un instrument de domination pour le Prince notamment en lui permettant de cacher ses intentions et de dissimuler certaines informations importantes. En France, pendant longtemps, le secret avait été érigé comme l’une des règles fondamentales de fonctionnement de l’État dans ses rapports avec les citoyens. Les mutations enregistrées dans les années 70 ont permis de jeter à la poubelle cette conception féodale en faisant du secret une exception dans les rapports entre l’État et les citoyens. Malheureusement, le Sénégal n’a pas voulu ou n’a pas su faire ce virage en maintenant, dans ses grands traits, le modèle administratif hérité de la colonisation. C’est cela qui expliquerait, en grande partie, le poids que le secret continue d’avoir, après 60 ans d’indépendance, dans les rapports entre l’État et les citoyens sénégalais. Cela n’est pas étonnant, car la conception que les dirigeants de l’État ont du pouvoir est de type patrimonial, jouissif et personnel. Cette conception de l’État déteint et continue de déteindre sur son principal pilier qu’est l’Administration, comprise comme étant l’ensemble des services publics chargés d’accomplir une mission d’intérêt général.
La transparence administrative : une exigence constitutionnelle et démocratique
Le secret est synonyme d’opacité. Il rend impossible l’accès à l’information et, par conséquent, ne favorise pas le développement des connaissances, ni l’avènement d’une société démocratique où les citoyens pourraient faire des choix éclairés. En ce sens, il s’oppose à la transparence définie comme le droit du public à savoir ce que fait l’Administration et comment les décisions sont prises, puis mises en œuvre.
La chape de plomb que Macky Sall tente de faire peser, de façon indifférenciée, sur toutes les informations relatives au fonctionnement de l’État, va à l’encontre des engagements souscrits par le Sénégal. Par exemple, c’est au nom de la transparence que le Sénégal a transposé, dans son droit interne (loi n° 2012-22 du 27 décembre 2012), la Directive communautaire n° 1/2009/CM/UEMOA du 27 mars 2009 portant Code de la transparence dans la gestion des finances publiques au sein de l’UEMOA dont l’un des principes fondateurs est l’information complète et régulière des citoyens. C’est également au nom de la transparence que notre pays a décidé d’adhérer à l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE) qui vise à renforcer la bonne gouvernance de nos ressources naturelles et d’en accroitre la transparence dans la gestion des revenus que génère leur exploitation à travers la création du Comité National de l’ITE (décret no 2013-881 du 20 juin 2023). Ainsi, « les citoyens auront la possibilité d’exercer un contrôle sur l’utilisation de ces ressources » (Macky Sall dixit). Par conséquent, divulguer des informations en lien avec ces aspects relèverait plutôt de la démocratie administrative que d’une quelconque violation d’un secret de l’Administration.
Il est temps que la transparence administrative soit érigée en règle et que le secret devienne l’exception. Pour cela, il sera nécessaire de faire un tri. C’est à cela que nous invite le décret n° 2003-512 du 2 juillet 2003 lorsqu’il parle de l’Administration au pluriel (« les administrations » ; « certaines administrations »). Le droit à l’information du peuple, en plus d’être d’essence constitutionnelle, constitue aujourd’hui le socle de toute gouvernance qui se voudrait démocratique et vertueuse.
Cheikh FAYE, Ph.D
Professeur – UQAC / Membre de la Cellule des cadres de la RÉPUBLIQUE DES VALEURS
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