L’Union Sacrée à Tout Prix ?

La Rédaction 17/04/2020

Les crises servent aux caractères humains comme le microscope électronique aux virus : elles amplifient le naturel des personnes plus qu’elles ne les mutent. A la survenue de la pandémie Covid19, certains d’entre nous ont parié sur une mutation miraculeuse des génomes du régime Sall tels qu’ils se sont donnés à voir durant huit ans : celle d’une famille (au sens large) au cœur de l’exercice du pouvoir politique et économique. Pourtant, nous devrions être moins disposés à passer sur les exemptions aux bonnes règles précisément parce que Macky Sall fut élu à la place d’Abdoulaye Wade pour mettre fin à la gestion dynastique. Les Sénégalais devraient être immunisés contre les ritournelles de la propagande du régime visant à justifier l’irremplaçable utilité de chacun des membres de la grande famille qui dirige le Pays.
On aurait dû être plus vigilants au vu de ce que sont devenus les meilleures intentions du monde et les plus beaux programmes (entreprenariat rapide, domaines agricoles communautaires) destinés à offrir une dernière planche de salut à des jeunes exclus de la croissance et de l’émergence. L’indigence des femmes est devenue un gisement politique exploité à coups de bourses familiales, de financements attrape-misère. La pauvreté généralisée a servi à des entrepreneurs politiques à se tailler des fiefs partout à travers un pays infecté par un mal plus difficile à éradiquer que le Covid19, l’indigence.
Mais lorsque l’opinion, déboussolée par les sombres perspectives de la guerre contre le nouveau coronavirus, commande de se serrer les coudes, les caisses de résonnance de la bien-pensance lancent aussitôt des appels à la conscription intellectuelle. Tous ensemble ! Du passé faisons table rase ! Aussitôt on donne carte blanche au régime à travers une loi d’habilitation. Doit on être surpris alors que les tenants du régime se servent de ces outils et de ce contexte selon leurs mentalités et suivant leur nature intrinsèque telle que révélée par des années de scandales qui n’auraient jamais dû avoir lieu en quelques circonstances ?
La ligne de défense du ministère de Mansour Faye face aux informations relayées par les médias du groupe GFM en dit long sur la psychologie de nos dirigeants : c’est le comble de la misère intellectuelle que de recourir à l’argument selon lequel la loi d’habilitation aurait permis de se passer du code des marchés publics si l’on était tenté de mal agir. Et que recourir à un appel d’offres est la preuve que tout est normal !
Oui, tout est normal, rien de nouveau sous le soleil sénégalais. Deux entreprises concurrentes (car c’est de cela qu’il s’agit puisqu’elles ont participé sous des étiquettes différentes à un appel d’offres), logées à la même enseigne, avec des connections occultes ? Du déjà vu !
Le drame est bien plus profond, malheureusement : il se trouve qu’en 2020, le Sénégal aurait dû être à l’abri d’importation de riz. Des sommes faramineuses ont été investies dans un programme de production de riz local censé conduire à l’auto-suffisance : des aménagements nouveaux ont été réalisés, des tracteurs et de motopompes acquis dans les mêmes conditions de « totale transparence et de bonne gouvernance » que les programmes d’appui aux impactés du Covid19. Les équipements acquis à des coûts astronomiques sont devenus, en quelques temps, des carcasses abandonnées aux bords des champs dont les aménagements se sont révélés de piètre qualité. Ce qui vaut au Sénégal d’être dangereusement exposé à l’insécurité alimentaire, face aux restrictions prévisibles d’exportation de riz des pays asiatiques, en sus d’une dette plus lourde.
Il serait mal-pensant d’exiger un bilan du programme d’autosuffisance en riz, comme il le serait de s’interroger pourquoi importer des volumes astronomiques de gel hydroalcooliques alors que des PME locales devraient pouvoir en fabriquer. La raison est connue : la cupidité humaine n’a pas de limite ni n’observe de trêve durant les grandes tragédies, bien au contraire. Déjà en 1950, Graham Greene nous donnait à voir, dans Le Troisième Homme, comment un trafic de pénicilline frelatée fut à l’origine de la mort d’enfants soignés dans les hôpitaux de la ville de Vienne martyrisée par la seconde guerre. Fiction ? au Niger, une affaire sordide de détournement d’une centaine de milliards au ministère de la défense émeut présentement l’opinion, car au même moment, les soldats en butte avec les rebellions souffrent de sous-équipements.
Il est une race d’homme dont le naturel est de proliférer dans les conditions les plus désastreuses et au détriment des autres. Aucune circonstance n’est sacrée pour que ce naturel les quitte. Le sachant, notre façon de rallier à l’union sacrée, c’est d’être plus vigilants que jamais.